Haye ». L’opium et la cocaïne y furent assujettis à des règlements internationaux. Après que ces tentatives, au moment de la guerre mondiale, eurent subi une brusque interruption, dans le traité de « paix » (traité de Versailles, I, 13), il fut décidé que toutes les puissances participantes adhéreraient à la convention de La Haye. La mise en œuvre de celle-ci serait confiée à la Société des Nations. Celle-ci appela à une pré-conférence sur l’opium au début de novembre 1924, mais ses travaux n’amenèrent aucun résultat pratique. En décembre, se réunirent donc les participants de la véritable, ou deuxième, conférence sur l’opium, qui se tint jusqu’en février 1925, et à laquelle participa aussi l’Amérique (qui par ailleurs n’était pas membre de la SDN.) Les Américains exigeaient que la production et l’importation de stupéfiants dont l’usage menait à une habitude (les drogues à accoutumance) soient précisément limités à la quantité nécessaire aux objectifs médicaux et scientifiques. Et spécialement en ce qui concerne l’opium, ils exigeaient que la culture du pavot, la production d’opium cru, ainsi que la production de feuilles de coca, à partir desquelles on fabrique la cocaïne, soient supprimées en 10 ans, de la manière suivante : chaque année, la production et la distribution seraient diminuées de 10%. Mais comme les Américains, dans leur combat contre l’opposition obstinée des pays cultivateurs de pavot et exportateurs d’opium, ne se voyaient pas suffisamment soutenus par les participants à la conférence, ils abandonnèrent d’eux-mêmes sous les protestations. La répression de la production et la vente de l’opium, ce stupéfiant qui jouait un rôle si néfaste dans la vie des peuples de l’est asiatique, mais aussi se répandait abondamment chez les peuples de race blanche, échoua, de toute évidence.
         C’est d’autant plus déplorable que cette épidémie de l’opium, qui sévit en Amérique et en Angleterre, mais aussi, en particulier, en France, depuis déjà des dizaines d’années, a été importée, pour leur plus grand malheur, en Allemagne et en Autriche.
          L’opium fut amené d’Indochine en France par ses propres citoyens, et se répandit bientôt dans toutes les classes sociales. En particulier dans les villes portuaires de Brest, Toulon, Marseille, Bordeaux, Cherbourg et Le Havre, à ce que rapporte R.H. Loars (23), l’importation d’opium se développa toujours davantage, et ceci est un secret de Polichinelle : au début de ce siècle, la consommation d’opium, dans les milieux de la marine française, prit une ampleur effroyable. Les matelots et les sous-officiers se rassemblaient dans les bars obscurs de ces villes portuaires, qui servaient principalement à la prostitution, pour s’adonner en secret à leur opium adoré, et pendant qu’ils fumaient, ou avant, se laisser satisfaire par les tenancières des lieux, le plus souvent des bohémiennes (V. Areco, La vie sexuelle des Bohémiens, Leipzig 1910, 282). L’accroissement surprenant du nombre d’accidents dans la marine de guerre, qui se produisit dans ces années-là dans les ports français, serait, selon les experts, à mettre en relation, pour la majeure partie, avec la propagation de l’opium chez les officiers et les hommes d’équipage. Le ministre français de la marine se vit obligé, avec le concours du ministère de la santé publique, de prendre des mesures d’une sévérité exceptionnelles, pour juguler l’expansion de ce vice (Loars, opus cité). Parmi ces officiers de marine, adonnés au démon de l’opium se trouve le célèbre romancier français Claude Farrère  - son véritablement nom est Bargone -, qui reste stationné en tant qu’officier de vaisseau en Asie  pendant longtemps ; là, il trouva de nombreuses occasions d’étudier à la source les effets de l’opium. Et Fumée d’opium était aussi le premier livre (comme H.H. Ewers le signale dans la préface de l’édition allemande) (24), dans lequel Farrère se présenta en public et dans lequel il dépeint pour nous, d’une manière remarquable, les joies et les souffrances qu’il connut personnellement grâce à l’opium.

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         L’opium accorde joie et tourment, mais il offre aussi des visions d’une richesse que l’on ne saurait trouver dans la vie quotidienne. Le poète Anglais Coleridge (1772-1834) nous en apprend beaucoup à ce sujet dans son journal. Son biographe Brandel le qualifie ainsi : « De longues suites de cris incohérents, tantôt grandioses, tantôt bégayants, un véritable régal pour l’œil et un pénible serrement de cœur », qu’il interprète comme un reflet des hallucinations de l’opium.


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Il est remarquable que De Quincey, ainsi que Coleridge et Poe, gardent un silence absolu sur les effets sexuels de l’opium, et que chez aucun des trois nous ne trouvions de représentation de fantasme sexuel. Cela semble d’autant plus incompréhensible, à ce que nous savons, que l’opium, comme le haschich, l’éther et la cocaïne, au bout de peu de temps, amène des idées de jouissance sexuelles et des  fantasmes particulièrement étranges, d’une luxure exceptionnelle. D’ailleurs, cela cesse lors d’un usage prolongé, qui finit par provoquer une impuissance totale et un désintérêt complet pour la sexualité, au point même d’abandonner tranquillement la femme aimée à un amant.

         Delfau, après des expériences sur lui-même et sur d’autres dans son (titre en français)
Manuel des maladies des voies urinaires dit ceci « Les effets excitants de l’opium cessent après 15 à 20 pipes ; après 25 ou 30 les érections deviennent incomplètes, et au-delà de 40 elles cessent totalement, malgré une stimulation directe énergique ». L’usager habituel de l’opium devient indifférent à tout le reste, et ne connaît qu’un besoin  - le besoin d’opium  -  à côté duquel toute autre passion lui semble sans attrait, même si, comme l’observation médicale le montre, l’opium augmente d’abord l’instinct sexuel envers la femme aimée dans des proportions extraordinaires. Ces expériences, nous les trouvons également décrites dans le livre sur l’opium de Farrère, d’une manière captivante et passionnante.

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          Cette impuissance provoquée par l’usage chronique de l’opium amène cette conséquence, qu’à la fin les fumeurs d’opium ne recherchent pas du tout une excitation sexuelle locale, mais plutôt à provoquer un rêve voluptueux, un Miracle de l’opium », dont Farrère s’émerveille aussi,

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         A propos de ce phénomène des fantasmes sexuels du fumeur d’opium, qui, comme le dit si justement Bloch dans son livre Vie sexuelle de notre temps   (Berlin, 1903), sont des désirs sexuels  d’un caractère imprécis, absolument pas pressants. A. Wermick nous apprend ceci, dans un passage remarquable :






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