« Il n’est pas nécessaire de parvenir à la satisfaction, on n’est pour ainsi dire pas enclin à remplacer la magnifique magie par quelque chose de défini. Tous les succès sexuels de la vie sont chassés, mis en fuite dans un étrange mélange. Des figures attrayantes, dont on n’a pu s’approcher que de loin, se présentent dans les positions les plus charmantes. Souvent, on ne prend même pas part à l’action ; de belles femmes, que l’on a vues quelquefois dans le monde, par exemple au théâtre, rencontrent, sous nos yeux, le camarade préféré de notre jeunesse. Tout ce que les souvenirs et le demi-rêve amène est dénudé, brillant, tendre, cajoleur - et pour nous seuls ; pour moi ces groupes, le rivage de cette source avec les gens qui se baigne,, ce geste, cette étreinte » A ce propos, un vieux proverbe Chinois dit : « L ‘amour est opium, l ‘opium est amour , et tous les deux apportent ceci ; ils rendent la vie supportable ». On comprend donc aisément que la plupart des bordels Chinois soient aménagés pour que l’on puisse fumer l’opium, et inversement, que beaucoup de maisons d’opium offrent des possibilités de satisfaction sexuelle. Dans chaque chambre d’un bordel Chinois l’hôte trouve donc une pipe à opium que la prostituée allume pour lui, et dont il prend quelques bouffées avant le coït pour favoriser l’érection. De tels « endroits publics pour l’usage de l’oubli de soi » (Wernick, opus cité) se rencontrent en Chine en nombre incalculable, depuis la fumerie la plus vile jusqu’aux plus luxueux salons d’opium parfaitement équipés.
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L’usage érotique de l’opium a également été transformé par les Chinois, à la ligne de démarcation, en une industrie profitable, sous la forme des bateaux de fleurs, les « jonques de fleurs » qui, comme le décrit l’italien Mario Appelius dans son récit de voyage à Singapour, dans « Peuples d’Italie » (janvier 1925), sont éloignés d’un kilomètre de Singapour, et restent ancrés dans les eaux marécageuses du Tandjong Pagar. « Ce ne sont rien d’autre que des bateaux construits exprès, des « Maison de thé flottantes », qui sont abondamment dorés, équipés de tout le luxe asiatique, et où les « Mousmées » remplissent leur office d’embellir la vie, en offrant l’opium et l‘amour. S’il y a à bord des invités qui recherchent l’oubli, la jonque lève l’ancre et glisse sans bruit, les emportant à travers les bambous et les roseaux du Pagar. Les prêtresses de l’amour et de l’opium sont assises, parées comme pour une fête, et restent figées sur leur chaise. L’heure de fumer est arrivée. Les servantes de la volupté glissent au côté de la couche basse de l’hôte, non pas un, mais tous les plaisirs les plus raffinés du monde, après avoir préparé, comme pour une opération chirurgicale, sur une petite table de laque, les minutieux instruments, soigneusement ordonnés » … Comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, l’opium, et par conséquent la dépendance à l’opium, fut amenée par les Chinois en Amérique. Et il ne fallut pas longtemps pour qu’à San Francisco et New York il n’y ait des bordels, inspirés par les Chinois où l’on pouvait abondamment s’adonner à la jouissance de l’opium. Cela existe encore aujourd’hui : la preuve en est que les américains font des efforts pour mettre fin au vice de l’opium, qui sévit surtout dans les grandes villes. Comme Bierhoff (29) le signale déjà en 1910, les prostituées venues d’Europe s’adonnent aussi; après peu de temps, à l’opium. Mais ce sont surtout les pensionnaires des bordels blancs du quartier Chinois de New-York (« Chinatown »), qui, bien qu’elles soient toutes américaines de naissance, sous l’influence des Chinois - elles portent aussi des vêtements Chinois - , devenaient des fumeuses d’opium enragées. Mais l’Amérique n’est pas le seul pays où l’on trouve des fumeries d’opium en nombre alarmant : en Europe également, malgré la morphine et la cocaïne, on voit aujourd’hui émerger des îlots d’amateurs d’opium. En France, même si la situation n’est plus aussi mauvaise qu’au début de notre siècle, il y a cependant aujourd’hui encore à Paris plusieurs fumeries secrètes, ainsi dans la rue Pergolèse (dans un élégant quartier résidentiel), derrière l’église Saint Augustin, près de la Trinité, dans le quartier de l’Étoile, à proximité du parc Monceau, etc., à propos desquels Franz Farga (30) raconte des choses intéressantes : « Une entrée artificiellement assombrie puis un couloir où l’on se glisse sans bruit sur un épais tapis, derrière un Tonkinois qui fait coulisser sur le côté une lourde tenture . Une suite de petites pièces, comme les cabines d’un établissement de bain, devient alors visible ; elles sont aménagées de telle sorte que l’on peut pénétrer dans le vrai sanctuaire par une porte dérobée. On se déshabille entièrement dans la cabine, on enfile un frais kimono de soie, et ensuite on entre dans cette seconde pièce, qui est presque entièrement sombre, et dans laquelle flotte une fumée singulière, sucrée, lourde, mais en aucune façon étouffante, une fumée qui s’attache à la pièce pour des années et qui trahit immédiatement l’endroit où l’on se trouve ... » Cela semble moins distingué dans cette « Fumerie de Vienne » qu’un anonyme V.S. décrivit en détail, l’année dernière, dans le « journal général de Vienne ». Le visiteur était en particulier déçu par l’ameublement peu élaboré du « Salon », « qui n’avait rien d’une fumerie ». In grand lustre de verre répandait sa lumière crue sur huit matelas, installés à la hâte, qui donnaient l’impression qu’il s’agissait là d’un refuge dans un quartier populaire pour sans-abri en frac. Avec lui étaient venues deux amies qui, après que les dames de la maison eurent allumé les pipes d’opium, se mirent aussitôt à gémir dans une extase voluptueuse. Et comme ici à Vienne, il y a également à Berlin, Hambourg, etc. , des « rabatteurs » et des « remorqueurs » qui s’y entendent à attirer des clients dans les fumeries bien cachées. Plus la puissance sexuelle du fumeur d’opium baisse et s’éteint, plus ses fantasmes et sa sexualité prennent des formes anormales. Il se pourrait donc que H. Libermann (31) ait raison quand il attribue la diffusion de l’homosexualité en Chine à l’usage de l’opium, dans la mesure où l’usage excessif de l’opium provoque un accroissement énorme du désir sexuel, qui est généralement contre nature, parce que les rapports sexuels normaux ne peuvent plus satisfaire les sens hébétés. Quoi qu’il en soit, ceci est certain : de même qu’en Chine l’usage de l’opium est habituel dans les bordels pour homosexuels, de même à Paris, en plus des fumeries d’opium pour les hommes, il y a également une maison d’opium pour femmes homosexuelles, qui est en étroite relation avec un bordel et une maison de rendez-vous pour « Tribades », comme le raconte Schwaeblé. (32). La maison fait quatre étages. Le rez-de-chaussée est occupé par les chambres habitées en permanence par les prostituées, le premier et le deuxième étage servent de maison de rendez-vous pour la prostitution lesbiennes, et le troisième est habité par la patronne. Le quatrième enfin est réservé aux fumeuses d’opium, qui y viennent après minuit et sont accueillies par des servantes annamites. Elles se déshabillent, se drapent dans un peignoir, et se dirigent vers la salle commune, discrètement éclairée par quelques lanternes chinoises, où, selon Schwaeblé, qui s’en est assuré de ses propres yeux, à l’aide de la fumée d’opium, elles se livrent avec les prostituées lesbiennes aux orgies les plus fantastiques
(21) Lewin : Les effets des médicaments. (22) R.V Jahsch : Les intoxications. (23) R.H. Loars, l’ivresse du Démon. (24) .C.F. Opium, Munich 1920. (29) F. Bierhoff, La question de la prostitution à New-York. (Revue de la lutte contre les maladies vénériennes, X, 1910). (30) F. Farga : Paradis artificiels, (Bohême, 1925). (31) H. Libermann, Les fumeurs d’opium en Chine, Étude Médicale, Paris, 1862. (32). R. Schwaeblé, Les détraquées de Paris. Études documentaires, Paris, 1905.
* Citations de Farrère, Poe, De Quincey que l’on trouve peut trouver facilement

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