AU PAVOT DE BÉNARÈS

Les nuits de Bénarès, les nuits dé saphir rose,
Les palais d'or, les ghaûts jonchés de bûchers bleus,
Les morts flottant bouffis, l'oeil hagard, les pieds creux,
Les buffles roux oints de santal, mâcheurs de roses,


Les éléphants qu'un cornac pique, afin qu'ils posent
Leurs deux genoux massifs au seuil même des Dieux,
Les nuits de Bénarès, musicales, les cieux
Tout flamboyant d'appels, d'essors, d'apothéoses,


L'orgie hindoue aux gongs de cuivre, au goût de sang,
Les mauvais sorts, les fleurs qui tuent, les kriss dansants,
Les vieux rajahs souillés, hoquetants sous les perles,


Ganesh et ses lingams, Kâli, Siva, l'horreur
De ce Gange où la Mort et l'Extase déferlent
Tout cela nage en ton suc noir - o lourde fleur!




 

AU PAVOT DE YUNNAM

Quel coolie a semé d'un poing large en sa glèbe,
- Sorti de Bac Nam Fu - quel coolie a semé,
Loin des regards, comme un voleur, l'air affamé,
Ton grain, tige lunaire et savoureux Érèbe?


Pendant ces nuits de Chine où dorment tant de plèbes,
Sur les canaux fumeux aux sampans embrumés,
Tu fleuris puis mourûs; mais toujours parfumé,
Distillas l'élixir :. ta myrrhe et ton cubèbe...


Or, maintenant, l'exil a porté jusqu'à moi
Le noir venin laqué qui coulait dans tes larmes,
Pavot! Le feu le gonfle; et l'aiguille, en mes doigts,


Malaxant le beau rêve où mon chagrin désarme,
Fait jaillir sur l'écran les palais défendus,
Les dieux en porcelaine et les dragons tordus!



Jacques D'Adelsward-Fersen

Tiré de HEI HSIANG (Le Parfum Noir)
(A. Meissen Éditeur, 1921)






> > > > Écouter "A la petite lampe" d'Adelsward Fersen  
(De "Hei Hsiang", récité par Annick Poppée).














 





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