LES CORTEGES QUI SONT PASSES

Poèmes

(Librairie Léon Vanier, Éditeur - A. Messin, Succ., Paris MCMIII)

 

 

 

 

LES LONGS PAVOTS DE TULLE...

 

Les longs pavots de tulle et d'argent au jardin
Ont entr'ouvert leur cœur au baiser de la lune,
Et versent le sommeil sur les yeux de chacune,
Avec un geste lent, mélancolique et fin...

 

Comme des mots d'amour chuchotés par vos lèvres,
Ils apaisent les pleurs et font le soir plus doux...
Par moments, enivré, mon rêve me rend fou,
Et je hume longtemps les lourds pavots de fièvre!

 

Alors les cauchemars qui précèdent la mort
Hallucinent mon cœur rempli de votre image,
Des démons inconnus, avec un cri sauvage,
Abattent près de moi leur satanique essor:

 

Et je rêve que vous, plus blanche que la lune,
M'offrez dans les pavots un poison assassin,
Du
même geste clair qu'autrefois, au jardin,
Vous m'offriez d'aimer vos lèvres à la brume!...

 

 Jacques d'Adelsward

 

 

 

 

0 just, subtle, and mighty...
Th. de Quincey,

 

O morphine apaisante, ô parfum de l'oubli,
Caresse de sommeil, ô morphine légère,
je t'aime mieux que l'or et que la lumière,
Pour tous les souvenirs que tu ensevelis!

 

 

Tu calmes la souffrance en berçant nos chimères
D'un chant languide et doux qui vient du Paradis,
Et les choses qu'on rêve et celles que l'on dit,
Disparaissent dans ton bienfaisant cimetière :

 

 

Ceux qui croyaient en toi n'ont jamais consenti
A renier ton nom pour d'autres éphémères,
Et tous ont préféré à la vie ton mystère
Pour ne l'abandonner que lorsqu'ils sont partis;

 

 

C'est pourquoi je récite en ces vers ta prière,
Comme au philtre puissant qui caresse et guérit,
Tu gouvernes les sens en exaltant l'esprit,
0 morphine apaisante, ô morphine légère!

 

 Jacques d'Adelsward

 


 


 
         



Les Confessions d'un mangeur d'opium

trad. Charles Baudelaire.

 

    O juste, subtil et puissant opium ! Toi qui, au cœur du pauvre comme du riche, pour les blessures qui ne se cicatriseront jamais et pour les angoisses qui induisent l'esprit en rébellion, apportes un baume adoucissant, éloquent opium ! Toi qui, par ta puissante rhétorique, désarmes les résolutions de la rage, et qui, pour une nuit, rends à l'homme coupable les espérances de sa jeunesse et ses anciennes mains pures de sang ; qui, à l'homme orgueilleux, donnes un oubli passager

     " Des torts non redressés et des insultes non vengées " ; qui cites les faux témoins au tribunal des rêves, pour le triomphe de l'innocence immolée ; qui confonds le parjure ; qui annules les sentences des juges iniques ; tu bâtis sur le sein des ténèbres, avec les matériaux imaginaires du cerveau, avec un art plus profond que celui de Phidias et de Praxitèle, des cités et des temples qui dépassent en splendeur Babylone et Hékatompylos ; et du chaos d'un sommeil plein de songes tu évoques à la lumière du soleil les visages des beautés depuis longtemps ensevelies, et les physionomies, familières et bénies, nettoyées des outrages de la tombe. Toi seul, tu donnes à l'homme ces trésors, et tu possèdes les clefs du paradis, ô juste, subtil et puissant opium.

THOMAS DE QUINCEY
  
  (1785-1859)

 


 

    Plus tard, j'usai et abusai de l'opium qui donne la clé de la rose des vents et permet d'éteindre et d'allumer à volonté le soleil intérieur. Je devins semblable au jardinier qui aurait le pouvoir de commander au soleil et à la pluie. Je savais qu'avec trois pipes de plus, je serais aussi heureux que si je possédais la femme désirée entre toutes, qu'avec six pipes de moins je serais aussi malheureux que si Franco entrait dans Madrid, mais il était tellement plus facile de fumer six pipes que d'empêcher Franco d'entrer dans Madrid. Comme pour l'avare en pièces et en billets, toutes les joies et toutes les peines du monde se transmuaient pour moi en pipes; j'avais trouvé la pierre philosophale.

ROGER VAILLAND
"Drôle de Jeu",  Ed. Buchet-Chastel


  

 

 

A L'OPIUM

 

Charmeur des cobras que sont nos douleurs,
Dictame et poison de miséricorde,
Secourable dieu qui, toujours, accorde
A l'esprit chagrin l'oubli des malheurs,

 

Thaumaturge ailé tirant des pâleurs
D'un nuage, amour, délice et concorde,
Charmeur des cobras que sont nos douleurs,
Dictame et poison de miséricorde,

 

Voici mon cœur las des jours querelleurs
Et mes nerfs tendus par l'âpre discorde;
Même si tu dois en briser la corde,
Fais chanter ton rêve à ces persifleurs,
Charmeur des cobras que sont nos douleurs


Alfred Blanchet
(1851 - 1935)

(Romancier, poète, conférencier, Alfred Blanchet sortait de l' École Polytechnique et enseigna les Mathématiques spéciales au Collège Stanislas).
                     


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