DROGUES ET SEXE, SEXE, OPIUM ET MORPHINE DANS LA LITERATURE A TRAVERS UN PEU D'HISTOIRE.
in SWAPS - Santé, réduction des risques et usage de drogues - trimestriel, n° 52
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avec l'aimable autorisation de l'auteur.
- « Si l’afioun[1] était bon pour la luxure et les fêtes de Vénus, ce serait contraire à toute la médecine et à toute raison ? - Vous dites vrai, car il n’est d’aucun bienfait mais nuirait au contraire. Tous les physiciens m’ont affirmé qu’il rendait les hommes impuissants et les faisait renoncer plutôt à Vénus. - Mais tant de gens en usent pour le plaisir charnel, il ne se peut qu’ils soient tous dans l’erreur. - Je vous dirai à quoi il sert mais le sujet est fort déshonnête[…]La vertu imaginative contribue beaucoup au plaisir charnel et comme elle est supérieure à la vertu expulsive, celle-ci lui obéit; donc plus cette vertu imaginative est forte, plus vite se termine l’acte de Vénus, car la vertu imaginative commande à l’expulsive qui jette dans nos testicules la semence génitale, c’est ainsi que plus on imagine, plus vite la semence vient au membre, tandis que ceux qui consomment cet afioun, étant comme hors d’eux-mêmes, prolongent l’acte vénérien, et beaucoup de femmes ne jetant pas leur semence si vite, plus l’homme tarde, plus elles prolongent l’acte de Vénus et ainsi ils terminent ensemble l’acte de procréer. C’est à cela que peut aider la consommation de l’afioun, à prolonger l'acte vénérien…. »
De Orta Garcia, in Colloque des simples et des drogues de l’Inde. Thésaurus, Actes SUD. Paris 2004. Traduction fidèle depuis l’édition portugaise de Oa en 1563 (Page 469)
« JOUIR »
« Jouir » : serait, selon certains chercheurs, la signification de « Hül-Gil» la désignation du pavot la plus ancienne que l’on connaisse et provenant d’une tablette sumérienne vieille de 5000 ans[2]. Depuis des temps immémoriaux, la consommation de substances psychoactive's, notamment l’opium, est associée à la sexualité. Dans l’antique Rome, on préparait le « Cocetum », un breuvage à base de pavot, pour détendre et préparer les jeunes romaines à l’union conjugale[3]. D’anciens traités médicaux arabes et indiens sont entièrement consacrés aux “ pilules de la joie[4]”, souvent à base d’opium, censées permettre aux riches levantins d’honorer des harems entiers sans faiblir. A la cour des grands Moghols bien des dignitaires sont opiophages car astreints à honorer d’innombrables concubines. Les grimoires du 16e et 17e siècle recommandent généralement des préparations Des grimoires du 15e au 18e siècle contiennent de nombreuses recettes, dans lesquelles on trouve souvent l’opium, pour dénouer l’aiguillette[5],” ou “ réactiver le feu qui couve sous la cendre Les recettes aphrodisiaques de Cosme Ruggieri, le parfumeur de Catherine de Médicis sont généralement opiacées.
Nicolas Venette[1], connu comme le fondateur de la sexologie, publia un des best-seller du 18e siècle : “ Tableau de l'amour conjugal ou histoire complète de la génération de l’homme ”. Il décrit minutieusement les effets exhilarants de l’opium qu’il a très complaisamment essayé sur lui-même et qu’il recommande selon de savants dosages et mélanges pour « parfaire les fonctions qui complaisent à Venus». Parallèlement le Laudanum[2] recommandé pour diminuer l'impétuosité de la nature afin combattre “ le fléau de l’onanisme[3] ”. Les médecins avaient bien sûr remarqué l l’atrophie
Nous voyons là une même substance, paradoxalement recommandée tantôt comme stimulant des rapports sexuels, tantôt pour favoriser la continence. La différence des effets étant souvent liée au dosage. Mais le contexte et la subjectivité sont à considérer également. Par ailleurs, l’opium étant le principal produit psychoactif connu, il était employé pour traiter d’innombrables troubles et pathologies.
« L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes,… creuse la volupté, Et de plaisirs…, Remplit l’âme au-delà de sa capacité… » (Baudelaire)[5]
Dans « Valentine », Georges Sand, décrit en 1832 de façon exemplaire l’emploi paradoxal de l’opium en fonction du contexte et de la motivation. Une femme mariée à un homme qu’elle n’aime pas, se sert une double ration d’opium, avant la nuit de noces, pour avoir les sens totalement anesthésiés, ne ressentir aucune sensation et être « absente » durant l’acte. Mais, lorsque la formalité accomplie, le mari s’est retiré, son amant se glisse chez elle. Elle se réveille alors, et « l’entoure de ses bras dans un ravissement opiacé »[6]. L’usage de l’opium est d’abord employé comme stratégie d’évitement des rapports sexuels. Mais une fois « l’horrible devoir » accompli, se transformer en substance magnifiante dans les bras de l’amant adoré.
Durant tout le 19e siècle, de nombreux ouvrages médicaux recommandent invariablement l’opium mélangé avec d’autres plantes telles la valériane mais également des solanacées[7], pour traiter les « érotomanies » comme l a nymphomanie, la « fureur utérine » et même la « satyriasis » [8] Les premières morphinomanes mondaines « qui entrent dans la morphine par la porte de la volupté »[9] parlent de « ravissements extatiques » pour qualifier les effet d’une piqûre. Peu à peu, naît toute une terminologie où la morphinomanie
[1] Venette Nicolas, De la génération de l'homme, ou tableau de l'amour conjugal Ed. Claude Joly, Cologne, 1696 [2] Laudanum : teinture alcoolique d’opium aromatisée au safran. Le laudanum était une sorte de médicament universel très utilisé jusqu’au début du XX° siècle pour soulager la douleur et toutes sortes de troubles physiques ou moraux. [3] Durant près de deux siècles, la masturbation est considérée comme un mal absolu, responsable d’innombrables affections. DUCHÉ Didier Jacques, Histoire de l’onanisme, PUF, 1994 [4] Duché Didier Jacques, Histoire de l’onanisme, PUF, 1994 [5] Baudelaire, Le poison in « Les fleurs du Mal ».
est associée à la recherche de voluptés et de jouissances immorales[1]. Les illustrations et descriptions sont puissamment suggestives pour une société qui considère la vue d’un mollet comme hautement érotique. Dans l’imaginaire « fin de siècle », la morphine est souvent associée aux visions d’une injection furtive, jupe relevée, dans la chair nue du gras de la cuisse, au dessus de la jarretière. Rappelons qu’à cette époque des mâles énamourés tombaient en pâmoison à la simple vue d’un mollet galbé. Peu à peu, la morphinomanie va être liée à la « déviance » sexuelle, surtout féminine. Le terrain est définitivement fertile pour susciter fascination et phantasms et… faire vendre du papier. Des écrivains font des pseudo reportages pleins de descriptions explicites. Quelques « spécialistes » évoquent l’utilisation de la morphine par des amants possessifs qui intoxiqueraient leur maîtresse pour « calmer ses ardeurs génésiques et s’en réserver l’exclusivité[2] ». Le sujet est porteur et les ouvrages décrivant « les langueurs, les débauches et la perversité dans lesquelles s’abîmeraient les demi-mondaines[3] » sont nombreux. Les livres censés « porter l’effroi chez les gens du monde qui auraient envie de toucher jamais à la morphine[4] » semblent néanmoins susciter souvent attrait et fascination, et contribuent à façonner pour des générations des représentation des drogues intimement associées au vice, à la prostitution et à une sexualité débridée fantasmée. Les innombrables éditions illustrées de belles alanguies dans les vapeurs d'opium des « Paradis Artificiels » de Baudelaire en témoigneront. Si le bourgeois éprouve « une peur exquise » devant la fascination de la « fureur utérine » que la morphine pourrait provoquer chez la femme , il admet par contre tout à fait que les filles de joie se droguent pour supporter leur métier. Le mouvement de la « décadence fin de siècle » renforcera encore fortement l'association entre drogue et débauche. Les journaux à sensation rivalisent dans la surenchère. La passion de la morphine exacerberaient les plus bas instincts, Les narcotiques détraqueraient gravement l'orientation sexuelle et seraient la cause de la perversion pathologique de nombreux « invertis » et autres homosexuel(le)s. Quelques eugénistes voient là un avantage qui limiterait la reproduction des dégénérés. Pour d'autres la morphine menace directement la natalité. La diatribe de Lefevre est édifiante: « La morphinomanie abolit les fonctions génitales, et c'est à l'impuissance absolue que courent les morphinomanes s'ils ne guérissent de bonne volonté ou contraints par d'énergiques conseillers »[5]. Précisons que la morphine était pure, facile d'accès, d'un prix raisonnable. Si la consommation moyenne se situait souvent aux alentours de un à deux grammes par jour, les quantités consommées par certains étaient parfois phénoménales et pouvaient dépasser les dix grammes par jour. A ce stade il est évident que la libido est sérieusement neutralisée,
« Je résiste à tout sauf à la tentation » (Oscar Wilde)
A partir du début du 20e siècle des livres comme « La divine Diane Kline », « Lélie, fumeuse d’opium », et les œuvres de Claude Farrère, Maurice Magre, Adelsward Fersen… souvent richement et explicitement illustrés contribuent fortement à alimenter les imaginations. Bien des maisons de tolérance chic
Durant les années 1920, « la garçonne » de Victor Marguerite donne le ton. Cette héroïne des années folles est indépendante et n’a pas peur d’affirmer ostensiblement qu’elle fume de l’opium (et prise de la « coco ») avant de faire l’amour. Parallèlement toute une littérature coloniale présente l’usage de l’opium d’une façon insidieusement attractive : un « vice oriental » acceptable tant que cela se passe « aux colonies ». Les description des effets, généralement totalement fantasmés, y sont empreints d’une constante“ érotisation ” du ressenti. Les protagonistes subissent leur attirance pour la drogue qui les fait sombrer avec une bienveillante indulgence dans la luxure et les excès[1] Dans l’imaginaire de nos arrière grand parents, l’opium étaient souvent intimement associé à la prostitution, la débauche donc à la sexualité. Yves Salgues, journaliste d’après-guerre et auteur de « L’héroïne, une vie[2] » , s’adonna à l’opium durant l’occupation avant de tâter, puis de préférer l’héroïne. Voici comment il décrit certains effets de l’opium après ses premières pipes:« Une immense volupté d’être, une extase physique de chaque cellule.... Le sexe raide, l’idée ne vous viendrait pas de saisir votre verge pour une masturbation....Vous vous laissez flotter, la pine à l’équerre, scrupuleusement attentif à ce qui se passe à l’intérieur”. Pour Albert de Pouvourville « Le potentiel de conscience sensorielle est décuplé. L’opium incite à la langueur, à savourer un état de tension érotique durant des heures, en dehors de tout acte sexuel, les seules limites sont celles d’une imagination, qui par définition, sont abolies par l’action de la drogue»[3]
Du cannabis à la buprénorphine,
Au vu de toute cette littérature les effets semblent souvent contradictoires et paradoxaux mais l'emploi d'une drogue peut avoir des fonctions complexes et selon les contextes, la culture, les dosages,,, ses effets peuvent considérablement varier. La sexualité est par définition un champ très personnel où l'imaginaire joue un rôle fondamental. Par ailleurs l'opium et les morphiniques peuvent stimuler ou sédater[1] en fonction du contexte, des attentes, prédispositions psychologiques, voire génétiques des personnes et bien sûr des dosages et du mode de consommation. Aujourd'hui la relation entre sexualité et usages de drogues n'a plus rien à voir.
Après la deuxième mondiale la dépendance opiacée aura fortement diminuée et le lien entre drogue et sexualité concernera à partir de la fin des années 60, d’abord le cannabis, le LSD puis les stimulants consommés par les tenants de la contre-culture. De nos jours, l’opium est quasi introuvable sous nos latitudes et l'immense majorité des personnes dépendantes des opiacés consomme soit de l'héroïne, soit de la méthadone ou de la buprénorphine, produits de substitution, qui ont chacun un mode d'action spécifique. Le rapport entre opiacés et sexualité, bien que souvent occulté par les professionnels, est néanmoins toujours très vivace. Nous allons voir comment les usagers de l’an 2000 vivent ce rapport.
Jimmy KEMPFER
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