Il m'a paru très intéressant de vous faire profiter - avec l'aimable autorisation de l'auteur, que je remercie -  une passionnante étude sur l'opium et le laudanum,  par un spécialiste,  qui est également un "homme de terrain", ce qui donne toute  sa valeur à ce texte  que, je l'espère,  vous apprécierez comme moi.

 










 Opium et Laudanum
      “ Gods ‘own medecine ”


Paru dans ASUD N° 17

 





Depuis toujours l’opium est utilisé pour son puissant pouvoir calmant sur la douleur mais aussi sur l’esprit.
Remède universel, on le recherchait pour donner du courage aux guerriers, procurer l’oubli, faire rêver, tromper l’ennui, apaiser les chagrins, calmer les agités, soigner les fous, provoquer le sommeil, empoisonner…  
La dépendance, la tolérance et le danger d’overdose étaient connues depuis l’antiquité. Ceux qui étaient “ accros ” étaient considérés comme ayant “ l’habitude de l’opium ”. Jusqu’à la découverte des alcaloïdes comme la morphine  au  19° siècle et le commercé que les Anglais imposèrent à la chine, l’usage de l’opium ne fut jamais la cause de grands désordres.

 

“ Certains organismes naissent pour devenir la proie des drogues. Ils exigent un correctif sans lequel ils ne peuvent prendre contact avec l’extérieur….Il arrive que ces malheureux vivent sans jamais trouver le moindre remède. …C’est une chance lorsque l’opium les équilibre et procure à ces âmes de liège un costume de scaphandrier. Car le mal apporté par l’opium sera moindre que celui des autres substances et moindre que l’infirmité qu’ils essaient de guérir…. Je dois à l’opium mes heures parfaites !”
Jean Cocteau - L'opium - Journal d'une désintoxication.



Opium et décroche
En Chine au début du siècle on tenta de désintoxiquer les opiomanes Chinois avec des pilules d’héroïne Ils se mirent à les fumer. D’autres mangeurs d’opium se mirent à injecter la morphine lorsqu’ils ne trouvèrent plus d’opium.
De nos jours il n’y a pas beaucoup de cas ou l’opium soit la cause de l’escalade vers une drogue plus dure. L’opium est beaucoup plus rare chez nous que l’héroïne ET C’EST BIEN DOMMAGE.  Car l’opium peut servir à décrocher de l’héroïne, de la méthadone ou d’autres opiacés. Un vétéran d’ASUD, nous raconte ainsi :
- Dans les années 70, j’allais régulièrement en Inde pour 3 mois (le temps du visa). Je prenais de la morphine et rentrai accro. Pas question de prendre de l’héro à Paris. Je ramenais de l’opium que je prenais en boules de plus en plus petites pendant trois semaines. Je décrochais sans problème avec la conscience tranquille du mec qui sait qu’il va remettre ça dans quelques mois !
Une autre connaissance se rend souvent en Thaïlande ou il consomme de l’héroïne. Il ramène également de l’opium pour décrocher.
- la dernière fois, j’ai payé près de 3000F pour 100g. A la place j’aurai pu avoir un bon paquet d’héro mais ça ne m’intéresse pas d’en ramener. De retour ici, j’ai pris de l’opium pendant un mois.  J’avais pris plus de poudre pendant plus longtemps que les fois précédentes et  quand l’opium fut fini, je n’allais pas vraiment bien. Pour des raisons précises, il fallait absolument que je sois en pleine forme. J’ai donc pris de la méthadone, très peu, 10 mg mais j’ai du mal à baisser. Je préfère de loin l’opium, c’est naturel, traditionnel, facile à doser et plus agréable !

Si l’utilisation de l’opium semble évidente à certains, son accès est autrement plus difficile qu’en Asie. Son usage pour un sevrage doux ou comme produit de substitution au long cours n’est pas reconnue par les instances médicales et pharmaceutiques pourtant ill existe des dizaines de préparation à base d’opium : poudres, extrait, sirop, teinture, laudanum, élixir parégorique, pilules, lavements, pâtes, gouttes, suppositoires… employés comme  hypnotique, analgésique, sédatif…

Laudanum et opiacés  en France.
A l’Hôpital Fernand Vidal à Paris, on se souvient de quelques vieux opiomanes vietnamiens, iraniens.... On leur prescrivit de la méthadone que certains voulurent arrêter mais en vain. On passa au Laudanum qui leur assure une qualité de vie satisfaisante. Aucun n’a décroché.
A Bayonne, Bordeaux, en région parisienne, des médecins ont également prescrit du Laudanum à des usagers de drogues.
La clinique Liberté à Bagneux en association avec l’hôpital Paul Guiraud à Villejuif a également une certaine expérience du Laudanum. Un vieux mangeur d’opium Iranien dépendant depuis des décennies fit un sevrage au Laudanum avec succès et tout en douceur. “ Le vieillard fut même très content de retrouver les effets d’un opium de qualité comme il n’en avait plus goûté depuis longtemps ! ” explique Patrick Beauverie, pharmacien à Paul Guiraud. La même équipe a également deux autres sevrages lents au Laudanum à son actif. L’un est abondamment documenté dans “ Les Cahiers de l’Addiction N°3 ” Héroïnomane, accro depuis 25 ans, mais déterminé à décrocher définitivement, X n’arrivait pas à arrêter le sulfate du morphine (Moscontin). Il décrocha doucement en 45 jours, avec du Laudanum dont il adaptait les prises en fonction de sa sensibilité, jusqu’à l’arrêt complet. Plus d’un an après il n’a pas recommencé.
Fort de cette expérience, les mêmes envisagent d’étendre l’expérience à quelques autres cas pour faire des sevrages sur 3 mois au Laudanum.

 

Une AMM très restrictive
Le Subutex et la méthadone ont une autorisation de mise sur le marché  (AMM) pour un usage précis : la substitution (de maintien) pour la dépendance opiacée. Si rien n’empêche de réduire progressivement le dosage et de décrocher ce n’est, théoriquement, pas prévu. C’est étonnant mais c’est comme ça. Un sevrage des opiacés est censé se faire en hôpital avec de la clonidine, une bonne dose de souffrance et ne doit pas dépasser SEPT JOURS. Au delà la sécu ne paye plus. (Essayez donc de décrocher de la métha en 7 jours.)


Tel la quête de la Pierre philosophale les chercheurs espèrent trouver dans quelques années  le produit de substitution idéal qui enlèverait le manque, supprimerait l’envie et empêcherait de sentir l’héroïne et même la cocaïne. Ce genre de médicament pourra certainement aider certains UD, sans parler de l’avancée dans la compréhension du cerveau humain mais pourquoi ne pas explorer les possibilités offertes par ce produit immémorial qu’est l’opium.


Mode d’emploi du Laudanum

Il est donc absolument justifié de trouver un produit destiné spécifiquement au sevrage dégressif. Le plus adapté est sans conteste le Laudanum, appelé aussi teinture d’opium safranée, qui existe dans notre pharmacopée depuis le 17° siècle. Il est officiellement présenté comme un “ breuvage calmant opiacé ” donc n’importe quel médecin peut tout à fait le prescrire
Le dosage est précis et facile s’adapte tout à fait à une posologie dégressive. Il contient  10% d’opium à 10% de morphine. Donc 100g de Laudanum contiennent 1 g de morphine. 43 gouttes pèsent 1 gramme.
10 mg de morphine correspondent environ à 1 gramme de Laudanum. Donc il est donc assez facile de trouver le dosage équivalent. La durée d’action du Laudanum (8h) est plus courte généralement que celle du Moscontin ou du Skenan (12h). L’opium étant une somme de 40 alcaloïdes qui agissent en synergie, les réactions individuelles peuvent varier quelques tâtonnements peut s’avérer judicieux pour déterminer le dosage optimum.
Concernant la méthadone, les dosages sont un peu plus empiriques. Un médecin parle de 4 cuillères à café en 3 fois pour remplacer 20 mg de méthadone alors qu’une amie ayant tenté l’expérience pencherait plutôt pour 80 gouttes trois fois par jour. A ASUD on n’est pas à quelques gouttes prêt.
Une autre alternative consisterait à pratiquer la méthode chinoise (voir ASUD N° 13) et diluer chaque jour un peu le produit. Mais vu la quantité nécessaire cela ne peut se pratiquer qu’avec l’aide d’une pharmacie hospitalière.

 

Le Laudanum  un challenge pour la substitution
Grâce à  la méthadone de plus en plus d’usagers de drogues ont amélioré leur qualité de vie et voudraient maintenant se défaire de ce fil à la patte. Mais descendre en dessous des derniers 20 mg n’est pas toujours facile.  Le Laudanum peut être une alternative réellement intéressante. A condition bien sûr d’être décidé à arrêter et à suivre un programme dégressif. Une rechute dans l’héroïne pourrait obliger à repasser à la méthadone et à tout recommencer.
Le Laudanum représente un vrai challenge aussi est-il important que ce soit les UD les plus motivés et les plus sérieux qui s’y collent pour défricher sérieusement cette voie mais également pour encourager les médecins à l’utiliser.
N’importe quel médecin peut en prescrire pour 7 jours. Il lui faudra se documenter un peu, calculer le dosage et trouver une pharmacie qui veuille bien faire cette préparation magistrale, plus guère utilisée. Ce sera sans doute le plus difficile. Le Laudanum n’est pas cher, donc peu rentable et sa préparation nécessite pas mal de temps. Mais le pharmacien n’a pas le droit de refuser une prescription à moins qu’elle soit réellement préjudiciable pour le patient et dans ce cas il doit en informer immédiatement le méde
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Il n’y pas si longtemps, les courageux qui allaient chercher de la méthadone à l’étranger, s’en servaient pour décrocher. Aujourd’hui on fait du “ maintien ” à la méthadone. Gageons pour peu que si le “ sevrage doux ” au Laudanum marche, on l’utilise bientôt comme “ substitution alternative ”. Mais ce ne seront pas les labos qui en feront la promotion vu que sa fabrication ne nécessite aucune recherche, ni licence, ni brevet. Le pavot pousse partout en France. Qu’en pensent les laboratoires qui fabriquent le Subu et qui ont fait plus de 400 millions de F de chiffre d’affaire avec ce médicament en 97 ? …et que penserait la Sécu d’une substitution à quelques dizaines de F par mois? 250 ml (380 g) de Laudanum valent environ 30F.

Rappelons tout de même que l’on peut également salement s’accrocher au Laudanum. Thomas de Quincey auteur du fameux “ Confessions d’un mangeur d’opium ” en consommait des litres et crevait de culpabilité. Le poète Roger Gilbert Lecomte est mort en essayant d’en injecter.

 

Jimmy Kempfer

llc@club-internet.fr

Merci de ne pas reproduire ce texte (ou des extraits) sans l’autorisation de l’auteur qui l’accorde volontiers dans la plupart des cas.
 


 



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