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 HISTORIQUE DU PAVOT ET DE L'OPIUM 
 


 

Dans les divers pays - En Chine - Date à laquelle les Chinois ont commencer à fumer l'opium selon le mode actuellement usité.
 
                                              Tiré  du  chapitre II  -  de  « Le visage inconnu de l’Opium », n° spécial du « Bulletin des Amis du Vieux Hué », n° 2-3, Avril-Sept. 1938












 DANS LES DIVERS PAYS



                Si l'on doit en croire JORET (I), les propriétés du pavot auraient été connues vraisemblablement à une époque de l'histoire des plus reculées.

                En Égypte, tout d'abord, - Dans sa traduction du  « papyrus Ebers », lequel daterait du XVI° siècle avant notre ère, M. JOACHIM mentionne l'emploi du pavot parmi les matières de la vieille pharmacopée égyptienne.

                 En Assyrie, - « La vertu dormitive » du pavot aurait été connue des Assyriens dés le IX° siècle avant J. - C. Un bas relief de l'époque de Tiglath-Pilser nous montre un roi tenant un lotus blanc dans la main gauche, cependant qu'un autre personnage se tient couché, au-dessus duquel on voit un prêtre (ou un roi ?)  tenant un bouquet de têtes de pavot,

                En Grèce, vers la même époque, Homère nous parle du pavot des jardins qui porte sa tête penchée ; et dans l'Odyssée il désigne la  « Pharmacon Népenthès » qui  « calme toute colère et fait oublier toute douleur ». Les guerriers l'absorbaient avant le combat pour ne pas avoir la crainte du danger.

                HÉSIODE, dans sa Théogonie, signale que la ville de Sicyon, dans le Péloponnèse, s'appelait autrefois Mécone, «  ville des Pavots ».

                HIPPOCRATE aussi indique l'usage médicinal du  « méconium » ; il attribue au Pavot blanc des effets curatifs dans les maladies de l'utérus. Il lui reconnaît une action constipante ainsi qu'une action hypnotique (Mécon hypnoticon), Les variétés énumérées par lui, Pavot blanc et Pavot noir, étaient déjà cultivées comme céréales. Ce «méconium » des anciens est donc bien un Pavot et très vraisemblablement le Papaver somniferum .

                THÉOPHRASTE (370-287 avant J.-C.) a donné la première description de la méthode de récolter l'opium ; il a établi
avec netteté la distinction qui existe entre les divers latex utilisés de son temps, celui de l'euphorbe, celui de la laitue; il précise que le latex du pavot s'obtient par des incisions de la capsule, et que ce procédé est spécial au seul pavot.

                Les Latins du 1er siècle après J. - C, font allusion, à diverses reprises, aux indications narcotiques du pavot : entre autres VIRGILE, dans l'Énéide et les Géorgiques, OVIDE dans les Métamorphoses. Mais il faut arriver à DIOSCORIDE,  pour découvrir
une connaissance déjà très détaillée des vertus officinales de l'opium: action somnifère de la décoction des feuilles et des têtes, action calmante et digestive du latex du pavot, pris à la dose d'un pois. Quant à PLINE, il nous apprend qu'on utilisait le Pavot noir
et qu'on y pratiquait des incisions longitudinales, ainsi que l'usage en a encore persisté de nos jours dans l'Inde et en Chine. GALIEN, le plus illustre médecin de l'Antiquité, considère que l'opium doit être rangé dans la catégorie de remèdes dite «  froide »
ou narcotique. Ce fut lui qui, au temps de MARC AURELE, fut chargé de confectionner la thériaque impériale, qui devint bientôt une panacée et fut conseillée avec succès contre la plupart des maladies. On sait aussi qu'elle était employé dans un but prophylactique. Au dire du Dr MEUNIER (2),c'est un des anciens médicaments qui ont fourni la plus longue carrière. Et ALEXANDRE DE TRALLES, médecin  de JUSTINIEN, recommande l'opium de Thèbes, tout en insistant sur les dangers qui découlent de son abus.

                Pendant tout le Moyen-Age. - Les médecins se bornèrent surtout à suivre la tradition romaine, et les apothicaires
usaient largement de cette fameuse Thériaque, qui contenait le suc de pavot. C'est seulement à partir de PARACELSE que l'opium reprend son rang parmi les médicaments  d'un emploi courant. Les cures merveilleuses qu'il réalisa à l'aide de cette médication auraient contribué à développer  l'opiophagie chronique.

                Période des Arabes. - Selon plusieurs auteurs, dont les relations concordent sur ce point, ce sont les recherches de
savants arabes qui ont conduit à établir la valeur relative de chacune des parties du pavot ainsi que l'emploi particulier du suc de
la capsule. Ils trouvèrent, les premiers, les propriétés existantes singulières qui ont conféré à l'opium une si grande vogue parmi les Orientaux.

               Et, si l'on en croit ATTYGALE, ce furent très probablement des médecins arabes, voyageant à la suite des conquérants mahométans du XII° siècle, qui apportèrent avec eux l'opium dans toutes les provinces de l'Asie occidentale, notamment en Perse, dans l'Inde et peut être même en Chine.

              Il est certain, en tout cas, que cette invasion musulmane valut aux populations de ce pays, de l'Inde en particulier, la double servitude de la conquête et de l'opium, et que la prohibition édictée par le Coran contre l'usage des boissons fermentées, n'a pas
peu contribué à répandre l'usage de la drogue. Des documents probants confirment que, au début du XVI° siècle, l'habitude de consommer l'opium était déjà très commune dans l'Inde ainsi qu'en Perse.

              On peut avancer, en outre, que l'usage de l'opium dut se propager par voie maritime, après ces invasions, par l'intermédiaire de Ceylan, de Java et des Îles de la Sonde d'une part, et également par les flottes chinoises, tant dans l'Indochine, qu'en Chine et
au Japon.

              Vint ensuite la période des voyageurs. Des explorateurs ayant parcouru le proche ou l'Extrême-Orient, purent rapporter
des indications plus précises sur la culture, l'usage et le commerce de l'opium. BELON, qui visita l'Asie Mineure, de 1546 à 1549, constata que l'opiophagie était très répandue chez les Turcs, et qu'un trafic important d'opium s'effectuait avec la Perse, l'Inde
et jusqu' avec l'Europe. ALPIN fournit les mêmes renseignements au sujet de l'Égypte. CLUSIUS, dans ses livres sur les Exotiques, distingue plusieurs variétés d'opium employées à cette époque : le turc, l'égyptien, le persan, l'Hindou, Enfin LINSCHOTEN en
1596, décrivant les ravages de l'opiophagie parmi les diverses populations, confirme que le commerce se faisait surtout par l'intermédiaire des Portugais.

             KAEMPFER, lequel traversa la Perse, les Indes Néerlandaises et le Japon, vers la fin du XVII° siècle, put se rendre compte
lui aussi des ravages de l'opiophagie parmi les Persans, et il note un détail curieux : ces derniers utilisaient un opium malaxé, puis conditionné en bâtons, afin de ne pas le confondre avec le vulgaire opium qui était vendu mélangé à des aromates. Ce navigateur a
vu pour la première fois, aux Indes Néerlandaises, fumer l'opium ; et cette coutume se serait vraisemblablement répandue ultérieurement dans les autres contrées de l'Orient, en même temps que celle de fumer le tabac mélangé au chanvre. Le fait est,
du reste, confirmé par un auteur anglais, MORSE (3) : la première mention d'une fumerie «  up an opium smoking divan », dit-il,
est due à KAEMPFER ; c'est lui qui, en visitant Java en 1689, y fuma de l'opium dilué dans l'eau et mélangé au tabac. Comme
les Hollandais eurent le contrôle du commerce de Formose, de 1624 à 1662, il semble à peu prés démontré que la pratique de fumer l'opium mélangé au tabac y fut introduite de Java .

           Quant au tabac, d'après l'Encyclopedia Sinica, il aurait pénétré en Chine par le port d'Amoy, vers 1550, sans que l'on puisse établir s'il fut transmis du Japon ou des Philippines, cependant le mot « tobacco » suppose une origine espagnole ou portugaise,
et il est permis de supposer qu'il aurait passé de Manille à Formose et de là en Chine. Son usage fut d'abord sévèrement interdit par
le dernier empereur des Ming, T'sung-Cheng, vers 1628; mais en vain. Notre ami, M. VERDEILLE, le distingué sinologue auquel nous devons ce renseignement , nous a signalé que le mot tabac ne possède pas de désignation spéciale en Chine, où il est
encore dénommé, par périphrase, herbe à fumée, et plus ordinairement fumée, et que fumer se dit : manger de la fumée.




 EN CHINE 



 
                Ce développement, bien que un peu fastidieux par moments, nous aura appris une chose irréfutable : l'usage de l'opium
n'a pas pris naissance en Chine
, à l'encontre de ce qu'on prétend assez communément.

                Il est probable que le pavot fut connu des Chinois, à la suite des relations nombreuses et fréquentes qu'ils avaient avec l'Inde. En effet, déjà vers la fin du VII° siècle, plusieurs caravanes chinoises débouchaient dans les plaines de l'Oxus, par
cette fameuse «route de la soie » si savamment décrite par L. CAHEN, dans sa remarquable histoire des Migrations à travers l'Asie (4). En 667, une invasion chinoise traversant le Thibet et le Népaul descendit dans l'Inde, s'empara de plusieurs villes et y laissa
des comptoirs. Par ailleurs, des flottes chinoises ne cessaient de voguer vers Ceylan, pour échanger leurs soies contre des bijoux, des pierres précieuses et autres riches produits de la contrée. On peut donc conclure de ces rapports suivis de la Chine
avec l'Occident, qui était alors surtout représenté par l'Inde, que les Chinois ont reçu des Indiens le pavot et l'opium, comme ils en
ont reçu, dans le domaine philosophique, la doctrine bouddhique. Selon EDKINGS, dans The Poppy in China (Le Pavot en Chine),
le pavot était inconnu en Chine avant la dynastie T'ang (618 ap. J. C.). De toute façon, la première mention en remonte à la première moitié du VIII° siècle, et est relatée dans le «  Traité de botanique » de CHEU-TSANG-CHI, qui y décrit la fleur du pavot. Toutefois
ce n'est que vers 973, dans «  Les Trésors de l'Herboriste », qu'il est parlé de l'emploi médical de l'opium ; et en 1057, SU-SUNG, dans son « Traité de Botanique », souligne que la décoction des graines de pavot constitue un remède très efficace dans nombre
de maladies. Si, à cette époque, les Chinois n'avaient pas encore découvert dans le pavot cette action stimulante qui devait, par
la suite, donner à l'opium son immense et extraordinaire succès, du moins savaient-ils déjà utiliser la graine en infusion pour
se procurer la douce somnolence, la quiétude physique et morale, si recherchée des Orientaux.

               Les poètes, du reste, célébraient à l'envie les bienfaits du « ying-su» (pavot). Un poème dû à SU-CHE en fait foi : «  Le ying-su est une bonne plante qu'il faut avoir pendant sa croissance, elle peut être mangée comme les frais légumes que nous apporte
le printemps ; ses graines sont alors comme celles du millet d'automne. Quand on broie, elle rend un jus semblable au lait de vache ; bouilli, ce liquide devient une excellente boisson digne de Bouddha. Les vieillards dont les facultés sont affaiblies, ceux qui n'ont
pas d'appétit, ceux qui ne peuvent pas digérer la viande et qui, mangeant des légumes, ne peuvent plus distinguer le goût, se trouvent bien de cette boisson. Buvant une tasse de décoction de pavot, je ris, je suis content et suis heureux  ».

               Bien plus tardivement on sut faire la différence entre l'extrait de plante et l'extrait du suc de la capsule (5), c'est-à-dire
le véritable opium. C'est au XV° siècle qu'on voit un médecin, LIN-HUNG, faire état de ce suc lui-même, qu'il vante comme un excellent remède contre toutes espèces de douleurs. Et dans les écrits de WANG-HI, gouverneur du Kan-Sû, qui mourut vers 1488, on
peut trouver la première description du mode de scarification des capsules du pavot, conseillée après la chute des pétales, selon
la coutume arabe. Dans son livre de la Matière médicale, publié en 1578, le médecin LI-SHI-CHANG consacre un article approfondi
au pavot et à l'opium. Il distingue trois périodes dans leur historique : - la première, allant du VII° au XI° siècle, pendant laquelle
la graine seule était employée ; - la seconde, du XII° au XV° siècle, comprend la connaissance des propriétés médicales relatives à
la capsule en décoction, et à la décoction évaporée de la plante entière ; - la troisième époque, où apparaît l'opium véritable, importé par les Mahométans sous le nom de «  Afu-yung » et « Ya-pien », Cette nouvelle médication se répandit très rapidement,
la pharmacopée trouvant en elle un moyen sûr et puissant pour arrêter les dysenteries et les diarrhées rebelles. LI-SHI-CHANG
relate également les nombreux succès qu'on en peut retirer dans le traitement du rhumatisme, de l'asthme et de plusieurs affections accompagnées de douleurs.

              Il conviendrait d'ajouter une quatrième période durant laquelle l'usage de fumer se propagea dans le peuple et se substitua complètement à l'habitude d'avaler l'opium, soit pur, soit mélangé au chanvre suivant la méthode musulmane. Comme cette
coutume nouvelle coïncida avec l'introduction du tabac, tout naturellement les Chinois utilisèrent le mélange de la « feuille à fumée » et de l'opium ; mais ils ne tardèrent pas à supprimer le tabac et à faire de l'opium une préparation plus subtile et maniable, en
même temps que plus agréable à savourer à l'état pur.

                Jusque là ce furent les pavots chinois qui alimentaient seuls la consommation de l'Empire, en attendant l’intervention européenne, qui ne tarda pas à se produire. Les Portugais furent les premiers à faire un trafic régulier de l'opium en Chine. Les
ports du Sud leur furent ouverts vers 1568 ; mais vers 1575, le Gouvernement chinois, ayant besoin de se créer des ressources pour une expédition militaire, imposa un droit sur toutes les marchandises apportées par les étrangers, et l'opium fut une des matières
les plus frappées.

               En 1613, la première factorerie fut fondée à Surat par la Compagnie des Indes, qui ne devait cependant obtenir que plus tard le monopole du trafic. En 1624,  les Hollandais établirent à leur tour des factoreries dans l'île de Formose et continuèrent
un commerce régulier avec la Chine, malgré toutes les difficultés qu'ils rencontrèrent.

               C'est en 1589 qu'il est fait mention pour la première fois, dans les registres des Douanes, de l'importation de 1000 livres d'opium au prix de deux barres d'argent. Vers cette époque, le peuple commença réellement à prendre le penchant de l'opium. Un
peu plus tard, les excès prirent une telle extension que l’Empereur YUNG-TCHENG publia, en 1729, des édits d'une sévérité extrême pour tâcher d'endiguer le développement d'une habitude déjà très enracinée. Les mesures rigoureuses de ces édits n'eurent que
de médiocres résultats : les Chinois se jetèrent avec avidité sur l'opium étranger, qu'ils trouvaient préférable au leur, et
donnèrent bien volontiers en échange une partie importante de leurs ressources monétaires. Malgré la crise qui s'en suivit alors,
la Chine n'en resta pas moins tributaire du commerce des Hollandais et des Portugais jusqu'en 1767, date à laquelle les Anglais
de l'Inde commencèrent à imposer leur opium. Leur commerce s'accrut si rapidement que le Gouvernement chinois en conçut
bientôt de vives alarmes; et l'Empereur KIA-KING, en 1800, décréta de nouveaux édits qui interdisaient toute importation d'opium,
en Chine et en Corée, et menaçaient même les coupables d'emprisonnement et de mort. Malheureusement, une vaste contrebande, favorisée d'ailleurs et entretenue par les mandarins et les officiers eux-même chargés de la réprimer, remplaça le commerce
officiel devenu illicite. Ainsi, en dépit des ordres de Pékin, l'importation de l'opium anglais s'étendit encore, comme en témoignent
les chiffres justificatifs du nombre des caisses pour les années 1806 à 1836.

               Par la suite, les rapports entre le Gouvernement chinois et la Compagnie des Indes prirent une acuité particulière, en
1837 notamment, date à laquelle  cessa avec la Chine la patente du privilège de cette compagnie. Le Capitaine Elliot, successeur
de Lord Napier, mort au cours de son voyage en Chine, lutta énergiquement, cherchant les moyens de continuer un commerce
aussi lucratif pour la grande compagnie ; mais ses pourparlers avec les autorités chinoises demeurèrent .sans effet. On lui
intima l'ordre de renvoyer de la rade de Canton tous les navires contenant de l'opium, et on lui enjoignit de défendre à Calcutta
d'en expédier désormais. Les Anglais n'ayant tenu aucun compte de ces injonctions, le nouveau Vice-Roi de la province fit détruire toutes les caisses d'opium provenant de l'Inde, que l'on avait refusé de lui livrer. Telle fut la cause de la guerre dite de l'opium, qui
se termina par le traité de Nankin, en 1848. Ce ne fut, néanmoins, qu'après une seconde guerre et après le traité de Tien-Tsin en
1858, que la Chine fut astreinte à l'obligation d'accepter l'opium indien. Ce dernier, introduit ainsi de force, put figurer alors, pour
la première fois, dans le tarif général des Douanes. Son importation s'accrut depuis selon une si forte proportion (de 40.000 caisses en 1840, le chiffre s'éleva à 180.000 en 1886), que le Gouvernement chinois fut amené, insensiblement, à favoriser à son tour la
culture du pavot sur toute l'étendue de son propre territoire. La culture se développa rapidement, nouvelle source de richesses, couvrant des provinces entières de ses champs de Pavots blancs. Il en fut ainsi jusqu'en 1906: alors intervint un accord entre la
Chine et le Gouvernement britannique, qui se déclara prêt à limiter et à supprimer éventuellement toute production d'opium indien,
si les Chinois d'eux-mêmes consentaient à réduire leur production intérieure.

                Ces derniers firent du reste un effort très sérieux dans ce sens et en exposèrent les résultats à la Conférence de Shanghaï, devant les délégués de treize puissances réunies à cet effet. Parmi les nations qui y siégèrent, l'Angleterre, la France, les États-Unis s'engagèrent plus particulièrement à seconder et encourager la Chine dans sa lutte pour la suppression de la culture du pavot.

                 A la Conférence de la Haye, à laquelle il nous fut donné de participer comme l'un des délégués de la France, la délégation chinoise se mit en devoir d'affirmer que cette culture avait baissé dans des proportions très notables. Il sera indiqué, au Chapitre
VII, les diverses mesures énergiques auxquelles on eut recours à cette époque.

                Maintenant, si nous considérons la lutte acharnée que soutint le Gouvernement chinois contre le commerce des étrangers,
il est permis de la trouver justifiée, quant à la défense de ses intérêts, mais il faut bien le dire, bien dénuée de fondement quant
à la prétendue moralité au nom de laquelle elle se flattait d'être menée. On décernait aux Européens les épithètes les plus méprisantes sous prétexte qu'ils étaient les responsables du vice nouveau qui empoisonnait la Chine. En vérité, c'est bien plutôt la crise
financière et l'évasion inquiétante des capitaux qui furent les raisons profondes de la guerre de 1840. Pourtant un événement
heureux se produisit : du fait de l'ouverture des ports au commerce étranger, un mouvement d'échange se dessina bientôt
si important que le chiffre d'exportation des produits chinois ne tarda pas à l'emporter sur le déficit monétaire causé par les fuites
du budget à l'étranger.

               Quant à l'introduction de l'opium en Chine, il serait tout de même excessif d'en faire porter le poids sur les seules puissances européennes. On ne peut oublier que l'opium fut importé en Chine à une époque bien antérieure, puisque dès le XVe siècle, l'abus
de la consommation et ses dangers étaient dénoncés comme un grave péril social.

               De même, pour préciser davantage, il est faux de continuer à attribuer à l'Anglais WATSON, selon  l 'affirmation légère de quelques auteurs, d'avoir introduit en Chine l'usage de l'opium : son premier envoi ne date guère que de l'année 1767, alors que
les Hollandais et les Portugais faisaient déjà depuis longtemps le commerce régulier des opiums de Inde.

                Toutefois, ne craignons pas de dire toute notre pensée. S'il est vrai que ce n'est pas l'Angleterre qui enseigna aux
Chinois l'opium et son emploi, nous devons convenir néanmoins que leur importation intensive de l'opium indien, après le traité de Tien-Tsin, eut pour conséquence évidente et immédiate d'en augmenter considérablement l'usage dans tout l'Empire. La preuve
en est que, peu après ce traité, la grosse majorité de la population adulte s'adonnait incontestablement à la drogue.

                Dans ces conditions, on s'explique facilement, nous l'avouerons, le cri d'alarme que ne cessèrent de clamer les autorités chinoises.

                Malgré ces intentions des plus louables du Gouvernement central, il n'en est pas moins vrai que le commerce de l'opium
a subsisté et ne cessa jamais de se développer ; la complicité ainsi que la vénalité des gouverneurs provinciaux y furent certainement pour quelque chose. Ce ne fut réellement qu'après 1900 que la croisade anti - opium fut entreprise avec rigueur ;il s'ensuivit
une sérieuse diminution de la vente et du nombre des fumeurs. Au Chapitre VII, on lira le récit de cette lutte ainsi que les péripéties
et les fruits qu'elle porta.

               Mais il est intéressant de noter, à propos de cette opposition contre l'opium portée à plusieurs reprises par de hauts dignitaires chinois, qu'elle trouva également un écho parmi d'éminentes personnalités de Grande-Bretagne.

                Le Ministre Sir Thomas WADE, écrivait, au sujet d'une révision du Traité de Tien-Tsin : « je ne puis me résoudre à
faire mienne l'opinion de deux médecins, MM. JARDI et MATHESON, qui allèguent que l'usage de l'opium n'est pas une mauvaise chose, mais un réconfort pour les travailleurs chinois ».

               Sir R. ALCOK disait devant l'India Comittee, en 1871 : « En considérant la généralité des fumeurs d'opium, on constate que tout homme qui fume, appauvrit et, en définitive, ruine sa famille  ».

               Le Gouverneur de Hong-Kong, Sir .P.HENNESSY, ainsi que nombre de médecins écoutés, émettent une opinion unanime et concordante et condamnent formellement l'usage de l'opium.

                Devons-nous ajouter, en manière d'épilogue, que, nonobstant ces multiples et énergiques protestations émanant de
toutes parts, malgré tous les efforts de la Société Anglo-Orientale pour la suppression de la drogue, l'opium continua son florissant négoce, permettant au Gouvernement de l'Inde et à de gros exportateurs anglais de réaliser d'immenses et faciles bénéfices !


DATE A LAQUELLE LES CHINOIS ONT COMMENCE   A FUMER L'OPIUM SELON LE MODE  ACTUELLEMENT USITÉ



                C'est là un point d'histoire malaisé à établir. Dans quelles circonstances furent fabriquée la première pipe ainsi que tout
le reste de l'outillage consacré à la fumerie ? Ceci demeure bien obscur à déterminer. Tout au plus peut-on supposer valablement que l'habitude prit naissance seulement au début du XVIII° siècle, c'est-à-dire peu avant les édits impériaux de YUNG-CHENG et KIA-KING.

                Suivant un traité de morale bouddhiste, l'invention de la pipe serait due aux moines, des pèlerins bouddhiques revenant
des Indes ayant rapporté à leurs compatriotes et la pipe et la technique de la fumerie.

                Nous ne discuterons pas cette assertion, un peu surprenante, avouons-le, de la part de religieux, dont la règle est
si contraire à toute servitude !

                D'après le délégué chinois à la première Conférence internationale de Shanghaï, ce seraient les Espagnols qui, en introduisant le tabac en Chine, apprirent à le fumer incorporé à l'opium. On sait que, par la suite, les Chinois abandonnèrent
ce mélange pour utiliser l'opium à l'état pur.

                Selon une autre opinion, assez répandue, ce seraient, au contraire, les Javanais qui, débarqués par les Hollandais
à Formose, au début du VII° siècle, auraient propagé dans cette île la pratique de fumer un mélange de chanvre et d'opium.
Les Chinois, en s'installant à Java, purent contracter facilement cette habitude, qu'ils rapportèrent ensuite dans leur pays, ou ils fumèrent un opium dépouillé de sa mixture.

                Enfin, il existe une autre version, selon laquelle une femme de Canton, nommée YIN-SIEN, aurait été intriguée, un jour, par
l’odeur de l'opium brûlé, ainsi que par les effets ressentis en respirant cette fumée ; elle en aurait conçu l'idée d'absorber l'opium sous cette forme et de faite connaître le procédé. On ajoute que c'est elle aussi qui se serait ingéniée à fabriquer les
premiers fourneaux en terre, ceux qu'on désigne encore de nos jours sous son nom et qui étaient alors d'un prix fort élevé…

               Certains auteurs chinois s'appliquent à rappeler que, vers la fin de la dynastie MING (1628), l'usage de mastiquer et
sucer l'opium était déjà répandu à Canton, au Foukien, ainsi que dans les autres provinces avoisinant la mer. Au début, on ne connaissait pas encore le mode de fumer à l'aide d'un tube : cette coutume aurait pris naissance dans le Foukien, parmi
quelques riches familles qui perfectionnèrent la pipe, innovèrent le fourneau, et possédèrent bientôt lampes, fourneaux et pipes,
qu'ils tinrent longtemps cachés et ignorés du vulgaire.

                D'après MORACHE, (6), qui fut médecin de la légation de France à Pékin, la coutume de la fumerie remonterait, en Chine,
à moins de deux siècles: il l'attribue à WEELER, qui fut vice-président des Indes et qui, le premier, tenta l'importation de l'opium,
vers 1740, en sorte que c'est lui qui aurait fait contracter aux Chinois une habitude existant déjà en Perse et dans l'Inde.

                R. DUPOUY est d'avis que cette date est inexacte, car trop récente, et il suggère que les fumeurs d'opium chinois existaient dès le XV° siècle, ce qui, à notre sens, est loin d'être démontré.

                Telle est également l'indication donnée par DORSENNE, dans La Noire Idole : «  L'habitude de fumer le suc de pavot se répandit avec une rapidité extraordinaire dés le XV° siècle ». Et il cite le cas de l'Empereur CHEUN-TSHONG « qui passa 18 années sur les 47 de son règne (1575-1620) en proie au poison du parfum noir  »  Il est vraisemblable que cet empereur fut plutôt un opiophage.

                 Selon le R. P. Huc (7) : «  L'importation de l'opium dans le Céleste Empire ne date pas de longtemps, mais il n'est pas
au monde de commerce dont les progrès aient été aussi rapides, deux agents de la Compagnie des Indes furent les premiers
qui eurent, vers le commencement du XVIII° siècle, la déplorable pensée de faire passer en Chine l'opium du Bengale. C'est au Colonel WATSON et au Vice-Président WEELER que les Chinois sont redevables de ce nouveau système d'empoisonnement  ».

               Le savant Père WIEGER, sans préciser autrement la date, assure que l'opium serait bien passé de l'Inde en Chine, et que
les habitants du Céleste Empire auraient appris l'art de fumer de leurs voisins, les habitants de l'Assam.

                Étant donné que les anciens voyageurs et MARCO-POLO, en particulier, ne font aucunement mention des fumeries d'opium, et que les auteurs chinois eux-même ne paraissent point avoir connu ce mode d'employer la drogue avant le XVIII° siècle, on est
en droit d'affirmer que l'utilisation de la pipe, sous sa forme actuelle, n'a guère pu s'établir qu'à la suite de l'habitude du tabac mêlé
à l'opium, qui fut alors d'une pratique courante. En sorte que l'origine de la fumerie en Chine serait contemporaine du début du XVIII° siècle.

                Tel est aussi l'avis de SOULIE DE MORANE (8), dans  son ouvrage si bien documenté sur l'Épopée des Jésuites français
en Chine. Étudiant la guerre de l'opium, il précise que la drogue fut introduite en Chine par la voie des Indes, d'abord comme médicament, puis, dès le début du XVIII° siècle, comme produit destiné à être fumé. Et il rappelle que cette expédition anglaise, demeurée fameuse, suscita de la part des Chinois de vives réactions contre les missionnaires et les chrétiens.

                MAX STEIN (9) confirme que « lorsque le célèbre voyageur allemand KAEMPFER s'arrêta dans l'île de Java vers 1688,
il y constata que les indigènes fumaient des feuilles de tabac qu'ils avaient plongées préalablement dans une solution d'opium et
qui étaient ensuite séchées puis roulées. Telle est, dit-il, l'origine réelle de l'habitude prise de fumer le latex des têtes de pavot connu sous le nom d'opium. Et il ajoute :« Quand les Chinois se rendirent dans les terres de l'archipel malais, ils s'adonnèrent à
cette méthode de fumer, et lorsqu'ils retournèrent dans leur patrie, ils s'ingénièrent à perfectionner de plus en plus cette méthode. Ils joignirent au tabac, importé jusqu'alors des Philippines, une certaine quantité d'extrait de têtes de pavot, augmentant les doses
au point de supprimer totalement le tabac et de le remplacer par l'opium. Ce n'est que vers la fin du XVIIIe siècle que l'usage de la pipe à opium se répandit en Chine sur quelques territoires des côtes du Sud. Cette pratique ne retint guère l'attention des autorités.
Mais, dés lors, l'opium ainsi fumé prit un tel développement qu'en l'année 1799 un édit impérial interdisait l'opium au
commerce étranger. »

                Pour résumer en peu de mots, nous dirons que l'origine de la fumerie d'opium, en Chine, est un point d'histoire
assez confus et encore mal élucidé. Mais on peut considérer comme certain que la première pipe utilisée n'était autre que la pipe à tabac (longue pipe chinoise en cuivre), dans laquelle on commença à fumer l'opium brut. Que l'art de la pipe ait été ou non un « don  »
du Céleste Empire, ce furent en tous cas les Chinois qui les premiers surent distiller et préparer l'opium, et qui inventèrent la fumerie avec tous ses accessoires, telle qu'elle est encore pratiquée de nos jours.

 

D.L. GAIDE

 

(1)   JORET : Les Plantes dans l'Antiquité et au Moyen-Âge : Égypte, Chaldée, Assyrie, Phénicie (Paris, 1897).
(2)   Dr MEUNIER :  Histoire de la médecine  -    Paris, Librairie Le François, 1924
(3)   MORSE : The trade and administration of the Chines Empire, p 328
(4)   L. CAHEN : Les Migrations à travers l’Asie
(5)   
Ce fait est confirmé dans le Ya Pien Che Lia (Historique de l'opium) par Ly-Kouè, de la dynastie des Tsing - Éditeur : Bibliothèque nationale de Peiping.
(6)   MORACHE : Pékin et ses habitants (Paris, 1869) R.P. Huc, prêtre missionnaire de la Congrégation de St Lazare : Souvenirs d'un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine. Librairie Plon, Paris, 1927
(7)   R. P. HUC, prêtre missionnaire de la Congrégation de St Lazare : Souvenirs d'un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine. Librairie Plon, Paris, 1927.
(8)   Soulié DE MORANE : L'Épopée des Jésuites français en Chine. Bernard Grasset, Paris, 1928
(9)   Max STEIN : Die Opiumraucher. Alte and neue Welt. 1894, Benziser & C°. Einsiedeln, (Schweiz)
 




 

 



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