« Voulez-vous de l'eau — Non. Je suis au régime. » Labiche.
Tous les matins, d'un ton impératif, La Soif me dit : « Viens, mon petit bonhomme, Viens avec moi prendre l'apéritif », Et moi j'y vais, tant je suis faible, en somme.
En général j'ai la gueule de bois, Étant toujours un peu « bu » de la veille ; Je reste donc à cela que je bois Indifférent, ainsi qu'une bouteille.
Ce sont, hélas! des produits hasardeux, Que tour à tour j'anise ou je cassisse. Et tôt bientôt, après une heure ou deux De ce verdâtre ou jaunâtre exercice,
Et, n'allez pas, comme un qui serait du Hanovre, Surtout, me l'effrayer Avec votre carafe! Elle croirait, la povre ! Que l'on veut la noyer.
Déridez-la toujours d'une première goutte... Là... là tout doucement. Vous la verrez alors palpiter, vibrer toute, Sourire ingénument.
Il faut que l'eau lui soit ainsi qu'une rosée, Tenez-vous-le pour dit ; N'éveillerez les sucs dont elle est composée Que petit à petit.
Telle, une jeune épouse hésite et s'effarouche, Quand, la première nuit, Son mari brusquement l'envahit sur sa couche, En ne pensant qu'à lui..
Mais, tenez... votre absinthe éclôt dans l'intervalle, La voilà qui fleurit. S'irise, et passe par tous les tons de l'opale, Avec un rare esprit.
A présent, vous pouvez la goûter, elle est faite. Et la chère liqueur Vous mettra dans l'instant une féerie en tête Et de la joie au coeur.
L'ABSINTHE DU MORT
A Georges Hugo.
A Madagascar, il est d'usage de continuer à nourrir les défunts au-delà du trépas. A celui qui a été ivrogne, sa veuve considère comme un devoir de lui apporter sa boisson favorite. (Lectures de la femme)
Dieu ! que la France est vaine Auprès de ces pays ! Et je comprends sans peine Qu'on les ait envahis. Les moeurs et les usages Y sont cent fois plus sages Que chez nous, Blancs-Visages, Qu'ils nomment les Ouis-ouis,
Là-bas, le mariage Me paraît, dès l'abord, Offrir un avantage, Et que je prise fort : La loi s'y trouvant telle, Que ma femme fidèle Si je meurs avant elle Doit me nourrir encor !
Bien mieux, si la " biture" Est mon léger défaut, Ma seconde nature, Elle doit — il le faut — Bien loin qu'elle sévisse Mettre tout son office A respecter mon vice Par delà le tombeau.
Chez nous, c'est un calvaire : Pour un verre de trop, La femme vocifère, Glapit comme un blaireau ; Elle peste, elle rogne, Vous traite de carogne, D'enfant de la Pologne, Et de fleur de bistro.
Tandis, là-bas — macache ! Que si je suis nanti D'une épouse malgache, Elle ne m'abrutit. Je puis boire — sans phrase, Et sans qu'elle me rase, Et voyez cette occase ! Même une fois parti !
Je suis donc mort. Ma veuve Inconsolable, au lieu De pleurer comme un fleuve, M'apporte, grâce à Dieu ! De son pas le plus vite Ma boisson favorite, Qui bien plus me profite Que ses pleurs... Croyez-le !
Ainsi, quand le jour tombe, Je la vois, jeune Hébé, Déposer dans ma tombe Un vieux " Pernod " frappé ; Et je me crois encore, Assis — humble pécore, Que le Néant décore, — A l'ombre d'un café.
AU CABARET
Celui qui ne sait pas tirer profit du premier objet qui lui tombe sous les yeux n'a pas un atome d'intelligence.
EDISON.
En lisant les ci-dessus lignes, Je pensai : voilà du « chiqué » ; D'autre part, Edison les signe, Qui ne passe pas pour toqué.
Je ne le crois pas davantage Un farceur, un mauvais plaisant, Un vieillard fou de radotage... Quoi qu'il en soit, essayons-en. Étant donné son axiome, Je dis en mon for : « Voyons voir » Si je jouis du moindre atome D'intelligence. Il faut savoir
Or, je puis le dire sans feinte, Au même instant, j'étais campé Par hasard, devant une absinthe, D'aventure — dans un café,
A l'heure où le soleil décline. Ainsi donc, le premier objet Était cette absinthe opaline, Que mon regard interrogeait ;
Dans l'espoir qu'il me viendrait d'elle, Une idée, un éclair subit Qui m'activerait la cervelle Et dont je tirerais profit,
Je l'avais encor ménagée, Mais tel n'était point mon projet ; Et je la bus d'une gorgée, Pour être plein de mon sujet.
Sans doute elle était trop légère, Car je restai comme devant, Après avoir vidé mon verre, En dépit de notre savant.
Alors, j'en pris une seconde — Vous eussiez dit des pois cassés ; Elle ne fut pas plus féconde En solutions, vous pensez !...
Je devins un peu plus loquace, Et plus agité, voilà tout ; Je bavardai comme une agace, Et pour ne rien dire, surtout...
N'importe, ô bourreau de science, Rare et merveilleux Edison ! Cette dernière expérience Te donne absolument raison :
On doit, pour peu qu'on y médite, Tirer profit de tout, c'est sûr : Ainsi, cette absinthe maudite, J'aurai toujours « profité sur »...
Écouter le "Sonnet de l'absinthe", par le robot de service. Peut mieux faire !
A noter qu'il existe un blog sur Raoul Ponchon >>>>>>
Et un rare document : L'Absinthe. Poésies - Histoire vraie en vers. de G. Flavius de Champville, 1890. Dite pour la première fois par Madame Darliss, au Casino de Dinard, excusez du peu !