Poèmes de Raoul PONCHON, tirée de "La Muse au Cabaret" |
L'ABSINTHE
Absinthe, je t'adore, certes! Il me semble, quand je te bois, Humer l'âme des jeunes bois, Pendant la belle saison verte!
Ton frais parfum me déconcerte. Et dans ton opale je vois Des cieux habités autrefois, Comme par une porte ouverte
Qu'importe, ô recours des maudits ! Que tu sois un vain paradis, Si tu contentes mon envie;
Et si, devant que j'entre au port, Tu me fais supporter la Vie, En m'habituant a la Mort
L'ABSINTHE ET LE COBAYE
A Paul Mounet. M, Bordas, sous-chef du laboratoire municipal, injecta dix centimètres cubes d'absinthe à un cobaye, pour démontrer la toxicité mortelle de ce breuvage
Dix centimètres ! quelle cuite ! Pourquoi pas trente, tout de suite ? Pauvre cobaye ! dont la fin Est de servir l'expérience De ces messieurs de la science, Avec son frère le lapin.
Mais, ô savant, que je respecte, Sache bien que je m'en injecte Relativement moins. Ainsi, C'est donc comme si moi bélître, Il me fallait en boire un litre, Dans une séance... Merci !
Moi, ces dix centimètres cube D'absinthe jetés dans mon tube, Je puis hardiment les braver. Sans même hésiter sur ma tige. Mais ce n'est pas un tel prodige Qu'un cobaye en puisse crever.
En outre, que prouve la Chose ! Pour ce petit cochon en cause, Pas plus gros en tout que le poing L'absinthe, idiosyncrasique, Peut être infiniment toxique Pour moi, ne l'être du tout point.
Chacun, comme il le peut, s'en tire. Ne me suis-je pas laissé dire Par exemple, que le persil, Qui m'est a moi fort salutaire Était au perroquet contraire, Tout autant qu'un coup de fusil ?
De même mon gosier se cabre, Quand je veux avaler un sabre, Tandis que j'ai vu, chez Barnum, Je ne sais quelle créature Dont c'est l'ordinaire pâture. Que voulez-vous . . . cuique suu
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FIVE O'CLOCK ABSINTHE
Au Docteur Pelet.
Vous avez votre absinthe. Il s'agit de la faire. Ce n'est pas, croyez moi, Comme pense un vain peuple, une petite affaire, Banale et sans émoi.
II ne faut pas avoir ailleurs l'âme occupée. Premier point. Maintenant, Exigez tout d'abord de la belle eau frappée, Toute autre dédaignant.
D'eau tiède, il n'en faut pas. Jupiter la condamne. Et même au pis aller. Autant vaudrait la " battre" avec du pissat d'âne... Révérence parler.
Et, n'allez pas, comme un qui serait du Hanovre, Surtout, me l'effrayer Avec votre carafe! Elle croirait, la povre ! Que l'on veut la noyer.
Déridez la toujours d'une première goutte... Là... là tout doucement. Vous la verrez alors palpiter, vibrer toute, Sourire ingénument.
II faut que l'eau lui soit ainsi qu'une rosée, Tenez vous le pour dit; N'éveillerez les sucs dont elle est composée Que petit à petit.
Telle, une jeune épouse hésite et S'effarouche, Quand, la première nuit, Son mari brusquement l'envahit sur sa couche, En ne pensant qu'à lui...
Mais, tenez... votre absinthe éclot dans l'intervalle, La voir qui fleurit. S'irise, et passe par tous les tons de l'opale, Avec un rare esprit.
A présent, vous pouvez la goûter, elle est faite. Et la chère liqueur Vous mettra dans l'instant une féerie en tête Et de la joie au coeur.
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